Depuis 2018, la sécheresse menace les populations du sud et de l’est du pays. Rainatou Baillet, directrice adjointe du PAM en Mauritanie, tire la sonnette d’alarme.
Le niveau de malnutrition d’un enfant est mesuré autour de son bras. Ici, à Kaédi, dans la région du Gorgol, en Mauritanie. World Food Programme/Agron Dragaj
Comme en 2018, la sécheresse menace de pénurie alimentaire les populations du sud et de l’est de la Mauritanie. Pendant la période de soudure, qui va s’étendre de juin à septembre, le mois des premières récoltes, 559 000 personnes risquent fort de se retrouver en situation d’insécurité alimentaire, soit 22 000 de plus qu’en 2018. Rainatou Baillet, directrice adjointe du Programme alimentaire mondial (PAM) en Mauritanie, tire la sonnette d’alarme.
Quelle est aujourd’hui la situation alimentaire en Mauritanie ?
Rainatou Baillet La situation est inquiétante. Dans ce pays du Sahel semi-aride, l’insécurité alimentaire est assez récurrente. Tous les trois à cinq ans, comme ailleurs dans la région, les populations peuvent se trouver affectées par un déficit de pluies, des invasions de criquets voire des inondations. En 2018, elles ont souffert du déficit de pluies de 2017. Nous avions alors tiré la sonnette d’alarme pour tous les pays de la région frappés par cette sécheresse.
Lorsqu’ils sont confrontés à un choc qui affecte leurs ressources alimentaires, les populations d’éleveurs vendent leur bétail pour survivre. Cette année, on s’attend à ce que certains ménages se retrouvent dans une situation critique car c’est la deuxième année consécutive. Quant aux plus précaires, ils avaient déjà vendu le bétail en 2018.
Combien de personnes sont concernées ?
On estime que 559 000 personnes seront en situation d’insécurité alimentaire pendant la période de soudure qui va de juin à septembre, contre 538 000 en 2018. On s’attend donc à un moment difficile où l’on va devoir assister les plus vulnérables. Selon nos prévisions, la malnutrition aiguë globale pourrait affecter 11,6 % de la population mauritanienne avec un taux de cas sévères à hauteur de 2,3 %. Le seuil d’urgence étant fixé à 2 %, nous sommes en alerte.
Quelles sont les régions les plus touchées ?
Les régions du Gorgol, de l’Assaba, du Guidimakha, de l’Hodh El Gharbi, du Brakna et même du Tagant, que l’on range dans le « triangle de l’espoir », regroupent à elles seules 89 % des 559 000 personnes concernées. Ce sont des zones majoritairement situées dans le sud de la Mauritanie, proches de la frontière avec le Mali. Il s’agit des mêmes régions qu’en 2018. C’est bien ce qui est inquiétant.
Les financements sont-ils assurés ?
La situation n’est guère optimiste puisque nous ne disposons aujourd’hui que de 9 % des financements nécessaires. Le PAM fonctionne avec une stratégie établie sur quatre ans. Celle-ci indiquait que nous devions prendre en charge de 111 000 à 115 000 personnes à chaque période de soudure. Or, en 2018, le PAM a couvert 86 % des besoins en nourrissant environ 300 000 personnes. Cette année, avec les 22 000 personnes supplémentaires à aider, selon nos estimations, nous avons un besoin urgent de 6,7 millions de dollars supplémentaires [environ 6 millions d’euros].
L’Etat mauritanien a-t-il conscience de la gravité de la situation ?
Oui, le plan de réponse a été érigé avec le gouvernement. Les autorités nationales s’impliquent également dans un programme de protection sociale avec la Banque mondiale, qui passe par une distribution d’argent aux ménages les plus vulnérables dans les régions touchées par la malnutrition. L’Etat mauritanien montre depuis quelques années qu’il a pris conscience que l’insécurité alimentaire était une priorité.
Le chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdelaziz, ne se représente pas à l’élection présidentielle du 22 juin. Le changement annoncé à la tête du pays peut-il avoir un impact sur la situation alimentaire ?
Je ne le pense pas, car nous travaillons avec le Commissariat à la sécurité alimentaire qui est une structure technique. S’il peut arriver que sa direction soit modifiée, les équipes restent généralement les mêmes après une élection, ce qui permet d’assurer la continuité des programmes.
Pierre Lepidi (Nouakchott, envoyé spécial)
Le Monde