Le Général de Division Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed est aussi à l’aise dans ses habits civils que dans la tenue militaire. Sa carrière militaire devait nécessairement être couronnée par cette consécration au ministère de la défense. Il est ainsi le premier militaire à occuper le poste depuis le temps du Comité militaire de Salut national qui a dirigé le pays de 1979 à 1992.
Quand ils ont provoqué la chute du régime de Ould Taya le 3 août 2005, les deux jeunes colonels avaient imposé le principe de ne confier aucun poste ministériel à un militaire. Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed (El Ghazwani) donnaient ainsi le la d’une vision marquée par une profonde aspiration au changement. Même quand il y eut l’intermède du Haut Conseil d’Etat (2008-2009), le gouvernement est resté entièrement civil. Y compris le portefeuille de la défense qui revint au moment de la transition du gouvernement d’union nationale à une personnalité du Rassemblement des forces démocratiques, feu Yedali Ould Cheikh. Le caractère très conciliant du Général El Ghazwani devait permettre de passer l’épreuve d’une cohabitation annoncée pourtant difficile sinon impossible.
Le Marabout chef de Bataillon
Né en 1956 à Boumdeid, Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed est le petit-fils d’un moine érudit de la confrérie El Ghodhf qui se distingue par le désintéressement des choses du «monde Ici-bas» et par une dévotion complète à la suprématie absolue du Créateur. Une vision qui se traduit par l’ancrage de valeurs comme la modération, l’abnégation, l’humilité et le sens du partage et de la solidarité.
Rien ne le prédestinait au métier des armes, lui qui a reçu un solide enseignement religieux, digne du milieu dans lequel il est né. Le Coran, puis les abécédaires de l’enseignement dispensé dans les plus grandes Mahadras et auprès des grands érudits de l’époque. L’ouverture d’esprit de son père, vénéré parmi les siens, lui ouvre la voie de l’école moderne. Il obtient son baccalauréat en 1977 à Rosso et s’engage sous les couleurs de l’Armée nationale le 15 octobre 1978. Le pays n’est pas encore sorti de la guerre du Sahara et l’Armée n’est pas encore ce débouché fatal pour ceux qui ambitionnent peu ou prou de peser sur le devenir du pays. Pour rappel, Mohamed Ould Abdel Aziz a rejoint les rangs en mars 1977. Autant dire que les deux hommes qui seront le tandem d’après, font partie de la génération de jeunes attirés par le métier et non par la soif du pouvoir. Les années qui suivront verront les groupuscules politiques infiltrer le corps de l’Armée pour faire main basse sur le pouvoir. Ils ne font pas partie de ceux-là.
Ils appartiennent forcément à des générations d’officiers qui n’ont pas été impliqués dans le 10 juillet 1978 et qui n’ont donc pas eu à porter de responsabilité quelconque dans la gestion catastrophique du pouvoir par les militaires du Comité militaire de redressement national (CMRN) puis du Salut national (CMSN).
C’est à l’Académie Royale de Mekhnès que les deux hommes se rencontrent et s’apprécient. Des points communs : la réserve et le sens du devoir.
Revenu en Mauritanie, Ould El Ghazwani commande des unités opérationnelles un peu partout dans le pays. C’est en 1987 qu’il connaît sa première grande promotion. En effet il est nommé alors aide de camp du Chef d’Etat. En 1989, au lendemain des événements, il fait partie de la délégation qui accompagne le Président Ould Taya en Irak pour sceller l’alliance entre les deux régimes de l’époque. A l’intérieur du pays, Ould Taya avait engagé une chasse aux Baathistes, sur le plan de la diplomatie, le régime de Baghdad devenait son parrain. L’homme n’était pas à une contradiction près.
Première conséquence de ce voyage : l’Irak offre une unité de blindés à Ould Taya. C’est son aide de camp qui est choisi pour faire un stage de formation sur l’utilisation de ces blindés. Tout en étant en Irak pour cela, Ould El Ghazwani n’est remplacé au poste d’aide de camp qu’en 1992, au lendemain de son retour. Il est chargé alors de monter l’unité des blindés qui fera partie du dispositif de sécurité du Président. Il s’agit du fameux Bataillon des Blindés (BB). C’est lui naturellement qui le dirige, même s’il est secondé par un proche du Président qui ne semble avoir confiance totalement qu’à ses proches.
Il effectue plusieurs stages dont une formation à l’Ecole de guerre en Jordanie mais reste commandant du BB. En juin 2003, il est là-bas quand éclate la mutinerie du 8 juin. Quelques officiers avaient mis la main sur le commandement du BB pour exécuter un complot finalement mal préparé et mal exécuté.
Un officier républicain
A son retour, il quitte le BB qui ne redeviendra jamais ce qu’il fut : une unité d’élite. Mohamed Ould El Ghazwani est nommé plus tard directeur du deuxième Bureau de l’Armée, celui des renseignements militaires. Il y arrive alors que ce bureau était gangrené par la délation et l’inefficacité. Il essaye de restaurer le système de renseignements militaires. Mais il coïncide avec le procès de Wad Naga.
Comme son alter ego, Mohamed Ould Abdel Aziz, commandant du BASEP (bataillon de sécurité présidentielle), comme Cheikh Ould Baya commandant alors la Marine, Mohamed Ould El Ghazwani refuse de verser dans le mauvais traitement des officiers lors des enquêtes préliminaires. Les soldats, sous-officiers et officiers parqués à l’époque dans une prison de fortune, se souviennent encore de la diligence de ces jeunes officiers qui furent les seuls, avec l’officier Mohamed Ahmed Ould Ismael à avoir risqué leurs carrières en dénonçant les traitements subis par les prévenus putschistes.
Plus tard, lors du procès de Wad Naga, le chef du Deuxième Bureau et le commandant du BASEP joueront un rôle déterminant dans la conclusion heureuse du verdict avec notamment l’absence de condamnation à mort.
Le 3 août 2005, son nom est le quatrième sur la liste du Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD). Après les colonels Eli Ould Mohamed Val, Abderrahmane Ould Boubacar et Mohamed Ould Abdel Aziz. Mais cet ordre ne trompe personne. Ce sont les cadets qui ont poussé les ainés à prendre le train en marche. Ils croyaient avoir besoin de l’onction des gens du système pour assurer un changement serein.
Même sils avaient très bien entamé le processus de changement en imposant un calendrier étalé sur 19 mois, les deux jeunes officiers seront vite rattrapés par leur refus de rompre brutalement avec le passé et ses hommes.
L’évolution dans un milieu hostile va aiguiser en eux le réflexe de survie qui nourrit le sens de l’initiative, mais surtout le sens du destin commun. Les tentatives des uns et des autres de les séparer vont justement produire l’effet contraire : après avoir été des compagnons d’armes et des amis, ils deviennent des frères.
Les épreuves vont se succéder pour rendre encore plus intense la relation et le sens de la loyauté de l’un vis-à-vis de l’autre.
Chef de guerre contre le terrorisme
Relativement retiré de la scène publique, le Général Mohamed Ould El Ghazwani prend la tête de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Il réussit à mettre en valeur les compétences de l’encadrement de la DGSN pour les mettre à profit dans la lutte contre le banditisme et le crime transfrontalier. Sous son commandement, la police réussit à neutraliser les cellules dormantes d’Al Qaeda, à démanteler les filières de trafic de drogue en passe déjà de contrôler le pays et à restaurer la confiance entre la sécurité nationale et le citoyen.
En 2008, le Général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed est nommé Chef d’Etat Major national, avant la restructuration qui en fera le Chef d’Etat Major des Armées.
C’est sous son commandement que la lutte contre les groupes terroristes est véritablement engagée. La remise à niveau de l’Armée nationale permet justement de promouvoir les compétences, de procéder aux recrutements nécessaires, d’engager les dépenses et de les exécuter en vue de donner à notre Armée nationale les moyens d’assurer la sécurité du pays. L’entreprise est réussie et la Mauritanie échappe au destin que les Jihadistes avaient décidé pour le Mali et la région en général.
Véritable chef de guerre, il réussit à impulser le sens de l’anticipation et de la prévention. Des attaques sont lancées contre l’ennemi, dans le territoire qu’il s’est approprié. Faire changer la peur de camp, mission réussie.
Mais ses préoccupations militaires ne l’empêchent pas de tisser de grandes relations stratégiques avec les partenaires de la Mauritanie. Il comprend bien que la sécurité est un élément revalorisant de la diplomatie. Le rapprochement avec la France, les Etats-Unis, les pays sahéliens, les Emirats Arabes, l’Arabie Saoudite, s’est d’abord passé à travers la coopération militaire. Ce qui donne au Général Mohamed Ould El Ghazwani une notoriété internationale indéniable.
Malgré ses élans de «guerrier», il a gardé ce fond culturel de modérateur, de pacificateur. Cela se traduit par un sens aigu de l’écoute, par un sentiment de «douceur» qui irradie sur l’environnement dans lequel il évolue, par une franche empathie qui réconforte.
Au-delà des supputations, sport favori sous nos latitudes, l’entrée du Général de Division Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed Ould El Ghazwani dans la mouture gouvernementale est loin d’être une effraction. Elle découle du déroulement naturel du processus qui doit rassurer, dès à présent, sur l’avenir du pays.
Mohamed Fall Oumeir