Libérer l’Islam, Libérer les femmes : la question de l’héritage (2/2)

jeu, 01/03/2019 - 11:10

Les « hommes sont supérieurs aux femmes » ou « ont la charge de leur bien-être » ?

 

Mais tout de même la question persiste avec raison. Comment dire que ce passage n’est pas inégalitaire alors qu’il donne concrètement plus à l’homme par rapport à la femme, au moins dans deux cas de figures (entre sœur et frères et au veuf par rapport à la veuve) ? A cette question  logique, la sourate des femmes nous répond elle-même :

 

« Ne convoitez pas le surplus/la faveur (fadl) que Dieu accorda aux uns par rapport aux autres. Aux hommes une part de ce qu’ils ont acquis, aux femmes une part de ce qu’elles ont acquis. Demandez plutôt à Dieu de sa faveur (fadl). Dieu est, de toute chose, Connaissant.  Pour tous nous avons établi des héritiers pour ce que laissent les parents, les plus proches, et ceux envers qui vous êtes engagés par serment. Donnez-leur donc leur part. Dieu est témoin de toute chose. Les hommes assument les femmes, en raison du surplus/de la faveur (fadl) que Dieu accorda aux uns (hommes ou femmes) par rapport aux autres (hommes ou femmes) … » (S4 ; s32-34).

 

La réponse est évidente et vient correspondre aux problématiques d’aujourd’hui. Le sujet ne doit pas être pris sous le prisme d’une rivalité inféconde entre femmes et hommes, mais sous celui de la réalité des rapports de production et de redistribution des biens et des interactions symboliques créatrices de liens.

 

En effet, nous voyons ici comment le Livre donne les éléments de réponse pour comprendre sa logique. La redistribution de l’héritage est liée à la production et à la dépense des biens (fadl), dans l’interaction des différents dons naturels, sociaux et économiques. Une raison plus concrète qui découle de tout ceci nous est donnée : le fait que les hommes prennent généralement en charge le bien être, notamment social et économique, des femmes. C’est la fameuse « qawwama » qui signifie « s’occuper constamment de », malencontreusement traduit par « supériorité et autorité » dans la logique patriarcale qui a pris en otage ces passages. Les juristes ont en fait transformée la réalité et le devoir de soutien des hommes envers les femmes en un droit de domination des premiers sur les secondes.

 

Il nous faut aller plus loin. De quelle charge et de quelle dépense parle le Coran ? S’agit-il là de la description d’une réalité sociale qui explique ou d’une prescription éthique qui implique ? Nous pensons qu’il s’agit d’une description qui vient expliquer la raison d’être de la répartition de l’héritage : parce que « les hommes ont la charge constante des femmes… ».  Cette charge, nous le voyons bien est avant tout économique. Mais il ne s’agit pas seulement d’un simple reflet de la société en ces interactions. C’est aussi ce qui découle des prescriptions coraniques envers les hommes vis-à-vis des femmes. Elle est donc descriptive de la réalité sociale et en même temps prescriptive en vue de la réformer.

 

En effet, si la cohérence du Livre est appliquée, il y a une exigence coranique de prise en charge qui pèse sur les hommes vis-à-vis des femmes, et ce dans toutes les étapes de la vie conjugale.

 

1) A son début, lorsque l’homme est amener à donner une dot selon les conditions de la femme, par un contrat librement consenti par les deux parties (S4 ; s4).

 

2) En cas de divorce la femme à droit à une pension « qui est un devoir pour les pieux » (S2 ; s    241).

 

3) La présence d’un enfant en bas âge après le divorce oblige le père à donner à la mère et à l’enfant de quoi vivre, selon ses capacités (S2 ; s233).

 

4) Enfin en cas de veuvage, la veuve reçoit une pension pendant un an au moins. (S2 ; s240).

 

La « qawama », ainsi, ce n’est pas la supériorité ou l’autorité de l’homme, comme les juristes musulmans l’on traduit et réduit, mais son devoir de soutien et d’attention envers elle, en tant que partenaire qui contribue à la vie de la famille par ses dons (fadl) immatériels et symboliques sans équivalent chez l’homme. Dans leurs échanges et relations, le masculin et ses moyens (les biens matériels et la sécurité) viennent en fait compenser et épouser le féminin et ses finalités (la vie biologique-symbolique et la protection).

 

Ces charges financières obligatoires et multiples pour l’homme musulman, ajoutés à la réalité sociale répandue des dépenses quotidiennes pour la famille, ne peuvent ainsi être mises de côté dans la répartition de l’héritage. L’égalitarisme dans la redistribution de l’héritage dans un tel contexte social et éthique serait une injustice. Il s’agit donc d’une équité qui prend en compte la dynamique sociale et l’orientation éthique, car dans l’ensemble et de façon générale, la redistribution des biens se fait plus des hommes envers les femmes que le contraire.

 

Deux questions cependant se posent ici. La première est pourquoi cet engagement financier de la part des hommes envers les femmes, sans contrepartie du même ordre de la part de ses dernières ? N’est-ce pas là les rendre dépendantes des hommes ? Deuxièmement, l’évolution du contexte amène-t-il une adaptation de l’application des règles liées à l’héritage ?

 

Cet article ne nous donne pas la possibilité de donner une réponse exhaustive à ces deux questions. Les lecteurs devront donc se contenter de quelques idées générales qui serviront de bases pour de nouvelles réflexions et futurs écrits. Cependant nous pouvons d’ores et déjà dire que la réponse à la seconde question est fortement liée à celle de la première.

 

Il faut pour ce faire monter au niveau philosophique et cosmique et dépasser le point de vue juridique, idéologique et polémique. C’est l’interaction cosmique mort/vie, male-femelle, concret-symbole, moyen-finalité, quantité-qualité, nature et culture, qui se transpose en chacun avec la prépondérance de l’une sur l’autre dans les relations et échanges, que le Coran prend ici en compte. 

 

Soyons plus clair. La femme est intrinsèquement et qualitativement plus pourvue que l’homme dans leurs rapports. De ce fait, dans une relation librement consentie d’égale à égale, ce dernier doit compenser par le don quantitatif concret celui qualitatif et symbolique de la femme. Celle-ci est en son esprit et corps vitalité et beauté, c’est-à-dire ce qui est la finalité de la force et de l’argent. La beauté étant supérieure à l’argent.

 

Ainsi la charge et le don masculin est à mettre dans la balance avec les atouts et les contributions qu’apporte le féminin en tant que tel. Imposer à cette dernière la prise en charge financière, en plus de ce qu’elle donne en tant que femme serait une injustice et établirait un déséquilibre dans les relations. Nous parlons bien de prépondérance dans les échanges et relations et non de restrictions sociales à un rôle prédéfini par le biologique. Le souci se trouve dans l’absence d’une vision globale sur l’interaction entre nature et culture et qui prend en compte la réalité des rapports économiques et la complexité des relations sociales.

 

En conclusion

 

Les juristes musulmans et la pensée musulmane en général, en ne cherchant pas à comprendre la dynamique qui sous-tend ses passages se sont interdit toute possibilité de légiférer avec sagesse dans le sens de l’équité et ont au contraire justifié l’ordre établi là où il s’agissait de le réformer.

 

Bien des politiques publiques et sociales peuvent être inspirées de ces éléments coraniques. Bien des réformes économiques, s’appuyant sur une connaissance plus fine de la réalité cosmique des relations humaines, pourraient être imaginées et appliquées à l’aune du Coran.

 

Cependant, de même que les plus belles couleurs ne servent à rien entre les mains d’un aveugle, de même que les bienfaits du Coran se trouvent entravés entre les mains des chicaneurs aux cœurs habitués et morts.

 

Les femmes et les hommes sont égaux. Cela est aussi vrai que l’unicité de Dieu. Nier celle-ci c’est nier celle-là. Et leur relation est fécondante et créatrice quand la domination fait place à l’entraide. Ils sont l’un pour l’autre ce que sont les deux ailes d’une colombe : beauté et majesté ; à moins qu’un fou ne décide de casser l’une pour la soumettre à l’autre qu’il veut plumer. C’est la stupidité que nous vivons en moment en Orient comme en Occident.

 

Y-a-t-il donc quelqu’un pour réfléchir ?

 

par Ousmane Timera

 

Oumma.com

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