En tant que responsable politique mauritanien, il est de mon devoir d’en appeler à la conscience de tous dans cette période particulièrement dangereuse que traverse mon pays. Avec son vaste territoire situé dans un Sahel aux prises avec des bandes terroristes, sa petite population et ses importantes ressources naturelles (fer, or, cuivre, poissons, gaz, etc.), la Mauritanie a tous les ingrédients pour se développer, pour se défendre et pour contribuer efficacement à l’effort international engagé pour stabiliser et sécuriser la sous-région. Pourtant, l’accaparement des ressources par le clan présidentiel et la dérive autoritaire entraînent le pays dans une crise endémique.
Depuis quelques mois, le régime du président Mohamed Ould Abdel Aziz s’efforce d’étouffer toute opposition alors que se profile à l’horizon 2019 une nouvelle élection présidentielle à laquelle il n’a pas le droit de se présenter, la Constitution mauritanienne l’empêchant, par des articles verrouillés, de prétendre à un troisième mandat.
Peut-il se résoudre à partir, lui qui est en train de laisser un pays exsangue à cause d’une gestion catastrophique des ressources publiques ? Peut-il se résoudre à partir, lui qui se complaît dans un enrichissement illicite avec une accumulation de biens indus ? Peut-il se résoudre à partir, lui dont l’avidité l’a poussé à vendre les locaux d’écoles publiques à des commerçants dans un pays où la moitié de la population est analphabète ?
Les manœuvres pour un troisième mandat
Déjà le 29 novembre 2016, lors d’un dialogue national organisé par le dernier militaire chef d’Etat d’Afrique de l’Ouest, le général président avait pu voir une foule immense défiler contre ses velléités de rester au pouvoir. Soucieux de tester l’acceptabilité d’un troisième mandat par référendum, il a initié de nouvelles réformes constitutionnelles ne présentant aucun intérêt et aucune urgence : modification du drapeau national, suppression du Sénat, changement de l’Hymne national, etc. Et ce, alors même que des problèmes majeurs comme l’esclavage, l’unité nationale ou la pauvreté ne sont pas traités.
Si ces projets de réforme ont d’abord été acceptés par l’Assemblée nationale, ils ont ensuite été massivement rejetés par le Sénat pourtant dominé par la majorité présidentielle, le 18 mars. Le président s’en est immédiatement pris aux sénateurs en les accusant de traîtres et de corrompus alors qu’il les avait reçus, un à un, avant le scrutin, pour les inciter à voter en faveur de ses projets en échange de certains avantages.
Dans sa ligne de mire : Mohamed Ould Ghadda, un jeune sénateur intransigeant et incorruptible ayant milité contre ces réformes, et qui présidait la commission parlementaire d’enquête sur les marchés de gré à gré. Il a été arrêté une première fois au lendemain du vote sénatorial en dépit de son immunité parlementaire, ses téléphones ont été saisis et piratés pour soutirer des informations secrètes et privées, en violation des libertés consacrées par la Constitution et le droit international.
Le général président, se sentant humilié par le Sénat, a décidé de passer outre le rejet des sénateurs et de violer la Constitution en tentant de la modifier par référendum. Pour battre campagne pendant l’été, Aziz a embrigadé des hauts fonctionnaires, s’est appuyé sur des autorités administratives régionales et locales et a saigné à blanc le trésor public pour financer la logistique. Pour museler l’opposition, qui a appelé au boycottage, le régime a réprimé, intimidé et arrêté les opposants.
La politique du bâton
Quelques jours après la « victoire » présidentielle tronquée au référendum, le sénateur Ghadda a été enlevé en pleine nuit par des inconnus en civil, sans mandat d’arrêt et sans motif. Pendant plusieurs jours, ni sa famille, ni ses avocats n’ont pu le voir ou obtenir une quelconque information à son sujet. Pressé de toutes parts, le régime dictatorial a ordonné à son procureur d’engager une information judiciaire afin de donner un habillage légal à son forfait.
Seulement, dans sa précipitation, le procureur s’est empêtré dans des notions ambiguës, au point de justifier l’arrestation du sénateur et celles de futurs « complices » par un délit non encore prévu par le Code pénal mauritanien, celui de « grands crimes de gabegie transfrontaliers », afin de justifier les poursuites contre des opposants réels ou supposés installés à l’extérieur et donc hors de portée des visiteurs de nuit du dictateur.
Plus triste encore, l’arrestation de Ghadda sert de prétexte pour poursuivre 22 personnes, parmi lesquelles les dirigeants des principaux syndicats, des journalistes, des hommes d’affaires et des sénateurs qu’il faut punir avec sévérité pour avoir osé voter contre la volonté du chef.
Par Moussa Fall
lemonde.fr