Quand l’Arabie saoudite somme l’Afrique de lâcher le Qatar

mar, 06/13/2017 - 13:47

Riyad tente de convaincre les Etats africains de rompre leurs relations diplomatiques avec Doha. Sept pays ont déjà cédé, explique le chercheur Benjamin Augé.

Des véhicules de police devant l’ambassade qatarie au Caire, le 6 juin 2017. La veille, l’Egypte a rompu ses relations diplomatiques avec l’émirat.

La violente crise diplomatique survenue le lundi 5 juin entre l’Arabie saoudite et le Qatar – ce dernier étant accusé de soutenir le terrorisme – a des répercussions jusqu’en Afrique. De fait, Riyad se démène pour obtenir le soutien du plus grand nombre d’Etats africains, sommés de prendre position.

Six pays du continent (Niger, Mauritanie, Sénégal, Tchad, Egypte et les Comores) ont déjà fait le choix de rappeler leur ambassadeur en poste à Doha. De son côté, Djibouti a préféré réduire le personnel de son ambassade pour ne pas insulter l’avenir, le Qatar faisant office de médiateur sur le différend frontalier qui oppose le pays à l’Erythrée.

 

Deux moyens de pression

 

Les présidents des Etats africains dans lesquels la population est à dominante musulmane – et où de nombreux lieux de prière sont construits et contrôlés par les intérêts saoudiens via des organismes de charité – subissent une forte pression depuis le déclenchement de la crise qui a conduit l’Arabie saoudite, mais aussi les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Yémen et l’Egypte, à couper les relations diplomatiques avec le Qatar et à organiser un blocus terrestre et aérien à son encontre.

L’Arabie saoudite a utilisé ses ambassadeurs dans les capitales africaines ou des émissaires spécialement envoyés depuis Riyad afin de convaincre les présidents de prendre l’unique décision qui s’impose à ses yeux : le rappel des ambassadeurs en poste à Doha et la rupture des relations diplomatiques. Pour ce faire, deux moyens de pression ont été utilisés par ses émissaires : l’arrêt potentiel d’une manne financière pourtant jusqu’alors très modeste – en dehors des projets financés par le Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades) – et des menaces à peine voilées de complications dans l’obtention de visas pour le pèlerinage à La Mecque.

Ces deux arguments ont souvent payé dès les premières prises de contacts, notamment dans les Etats se trouvant dans une position difficile au niveau économique et politique. Certains pays ayant des rapports difficiles avec le Qatar, comme la Mauritanie, n’ont même pas eu besoin d’une quelconque pression pour prendre le parti de l’Arabie saoudite. La décision de rappel des ambassadeurs a souvent été prise par les seuls présidents africains, sans l’avis de leurs gouvernements ni des ministres des affaires étrangères.

 

Le Nigeria fait de la résistance

Pourtant, certains Etats africains où la population musulmane est importante n’ont pas souhaité prendre position dans ce conflit. Les pays du Maghreb – Maroc, Algérie, Tunisie –, mais aussi le Soudan et la Somalie, ont appelé au dialogue sans prendre parti, considérant qu’ils n’ont pas à choisir entre les deux principaux protagonistes, avec lesquels ils ont des liens diplomatiques et économiques forts.

Le cas le plus singulier reste le Nigeria, où le nombre de citoyens musulmans est probablement le plus élevé du continent africain, avec l’Egypte. L’ancien président nigérian Goodluck Jonathan a ouvert en 2013 une représentation diplomatique à Doha et les deux pays se côtoient depuis longtemps dans le cadre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et de son pendant gazier, le Gas Exporting Countries Forum, dont le siège est au Qatar.

Les relations sont également bonnes avec l’Arabie saoudite, où l’actuel président nigérian, Muhammadu Buhari, s’est rendu en février 2016, avant de passer par Doha. Cependant, M. Buhari, général nationaliste, accepte très difficilement la pression extérieure. Lors du sommet de Riyad où se sont réunis fin mai une cinquantaine d’Etats sunnites ainsi que le président américain Donald Trump, le Nigeria n’a envoyé que des ministres, alors que la plupart des pays étaient représentés par leur président ou leur premier ministre.

M. Buhari – tout comme son vice-président, Yemi Osinbajo, actuellement président par intérim – ne souhaite pas qu’on lui dicte ce qu’il doit faire dans son pays, pas plus qu’il ne veut être l’otage de quiconque sur le plan international. Il a, enfin, le devoir de ne pas exacerber les tensions religieuses dans la fédération qu’il dirige : une grande partie de la population est chrétienne et n’accepte pas que le Nigeria soit considéré comme un pays musulman.

 

Manque de diplomates

Si le Qatar n’a pas su éviter les ruptures avec certains pays africains, c’est en partie par manque de diplomates, sachant qu’une partie des ambassadeurs qataris sont depuis deux semaines à Doha pour le ramadan. En outre, les ministres ou émissaires spéciaux de l’émir Tamim Ben Hamad Al-Thani ont concentré leurs efforts sur les grandes puissances occidentales et arabes.

Ces dix dernières années, le Qatar a pourtant dégagé d’importants moyens pour que les pays africains, y compris les plus vulnérables économiquement, puissent ouvrir une ambassade à Doha, mettant gracieusement à leur disposition des locaux et des véhicules. L’émirat est conscient que sa générosité supposée saura faire revenir, à moyen terme, la plupart des Etats partis sous la menace saoudienne. Cette crise souligne cependant cruellement combien la puissance géopolitique du Qatar, en constante ascension depuis le milieu des années 1990, demeure sans comparaison avec son grand voisin… qui souhaite aujourd’hui le lui rappeler.

lemonde.fr

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