Extrait i (cf. avant-propos de l’auteur, pp. 21-26)
« On peut bien se demander et à juste titre pourquoi un essai autobiographique ? Pourquoi surtout un essai autobiographique de quelqu’un dont le parcours est dépourvu d’éléments historiques marquants. Cet auto-questionnement m’a tracassé pendant longtemps, bloquant ainsi toute initiative d’entreprendre le moindre essai d’écriture.
Sur quoi faut-il donc écrire ? La question redoutable se dresse devant moi comme un mur de Berlin. Pour la contourner j’ai procédé pour commencer par le plus simple : raconter à tous les potentiels intéressés sa propre histoire, son propre itinéraire, à la fois élémentaire et chaotique. Expliquer par-là, à la vieille cousine, feue Attouha, maintenant dans l’au-delà, pourquoi, malheureusement, les sinuosités du chemin de la vie ne m’ont pas permis de répondre positivement à ses vœux, vœux exprimés dans la berceuse qu’elle m’a dédiée et souhaitant pour moi un avenir réussi, surtout au plan matériel.
En même temps, en réponse aux nombreuses questions, posées souvent par certains observateurs de phénomènes sociaux, essayer de faire la genèse de la constitution de notre propre collectivité.
Tenter, en même temps, de répondre, par la même occasion, à la grande demande d’explication de l’histoire qui ne cesse de m’interpeller sur les raisons de mes multiples échecs dans la vie courante, notamment dans la vie professionnelle. Ici, les raisons des revers subis, aussi bien en matière d’étude que de travail, s’expliquent, en plus d’une conjoncture historique déterminée, par les nombreux sacrifices consentis consécutifs à l’engagement politique, notamment, entre autres, l’implication dans des problèmes locaux cherchant à nuire à notre communauté.
On dit souvent que l’échec dans la vie courante est à l’origine de la réussite de bon nombre de grands écrivains. Je prends cet aspect en considération comme une motivation de plus pour avoir une modeste place parmi les raconteurs de petits récits. Écrire, pour moi, est aussi, une occasion de remplir le temps libre dont je dispose, ce temps que mon beau pays m’a « généreusement » offert sans que je ne le désire. »
Extrait 2 (cf. préface : « un dëlu au fond d’un hassi », pp. 7-18)
« Dans cet « essai biographique » Cheddad ne révèle pas, et ne se dévoile pas, il conte en se racontant. Vrai compteur du temps, et son titre… Ce que je pense. Avant de tout oublier… en constitue l’aiguille. Le temps passé apparaît souverain, sous sa plume, et le contexte actuel de la Mauritanie demande, certainement, cette forme d’écriture qui rend compte d’une grande animation agissant comme une véritable couveuse qui avait, pour vocation, de faire mûrir des idées d’avenir. Il est donc pressant que d’autres, comme lui, se mettent à écrire pour que nous puissions capitaliser leurs « témoignages », tirer de leur quintessence quelques leçons utiles pour affronter le devenir de la société et des localités qui constituent le pays.
La Mauritanie, de cet hier si proche, que dessine l’auteur mérite d’être revisitée pour que nous puissions produire de véritables icônes capables de galvaniser une jeunesse toujours croissante et de plus en plus désœuvrée. Et, nous pourrons ainsi éviter les bifurcations lourdes de conséquences. Les nouvelles générations ont besoin de comprendre toute cette animation qui n’était pas une simple errance idéologique, mais au contraire des moments de véritable recherche d’équilibre entre les différentes modalités du vivre ensemble, en pensant à une reformulation globale de toutes les différences internes à chaque communauté. … Ce que je pense. Avant de tout oublier… dégage une « fraîcheur sédative », car le récit est jalonné « d’aires de repos » qui permettent au lecteur de bivouaquer et de se ressourcer avec toute la nonchalance requise, par un excellent guide de caravane qui souhaite arriver à bon port.
Rompu à la méthode « clandestine », il raconte l’histoire avec son goût prononcé du détail. Et, ce pacte signé avec le « détail » ne démontre pas seulement la solidité de sa mémoire, mais aussi et surtout son talent de narrateur accompli, avec ce rire comprimé qu’on entend sourdre de l’intérieur du texte et qui peut épouser, pour les incrédules, la forme d’une « moquerie » désobligeante. Moquerie coquette ai-je envie de dire, car l’homme a une solidité de la pensée qu’une parole « hachée », par de longues pages de silence, trahit. Car il pense lentement, sûrement en pesant tout mot qui sort de sa bouche. Il ne s’avoue jamais vaincu et n’accepte que difficilement de perdre l’initiative, car il revient toujours avec une belle et déroutante repartie. À nous d’être d’accord ou argumenter notre désaccord !
Finalement le dëlu taah ev hassi, car la corde a rompu, adieu la poulie et la structure qui les portait, tous trois ensemble. »