Pédagogue, ce religieux conservateur s’emploie depuis plusieurs années, sources orthodoxes à l’appui, à déconstruire la rhétorique des jihadistes pour en démontrer l’inanité. Et l’invalider. Portrait.
Quand Barack Obama a cité son nom devant le Conseil de sécurité de l’ONU, en 2014, une rapide polémique s’était ensuivie, l’intéressé s’étant fermement opposé à l’intervention des États-Unis en Irak.
Mais pour l’heure, et devant la menace de Daesh, Abdallah Ibn Mahfoudh Ibn Bayyah, un Mauritanien résidant en Arabie saoudite, est un allié. La même année, il avait émis une fatwa, sobrement intitulée « Ce n’est pas le chemin du paradis », fondée sur des sources tout à fait admises chez les plus orthodoxes des musulmans et qui invalide la rhétorique de Daesh.
Un rôle de pédagogue
Aujourd’hui en première ligne dans la lutte contre le terrorisme, Ibn Bayyah joue le rôle de pédagogue. Né en 1935 dans l’Est mauritanien, il est lié à la puissante confrérie Gouzfiya, elle-même une branche locale de la très respectée confrérie soufie Chadhiliya.
Quant à sa tribu, les Massoumas, elle compte d’autres dignitaires religieux, comme Mohamed El Hassan Ould Dadaw, figure des Frères musulmans et principal inspirateur du parti islamiste mauritanien Tawassoul.
La réputation et le lignage du cheikh l’ont conduit à occuper différents postes sous le règne de Moktar Ould Daddah. Entre 1970 et 1978, il est même un membre influent du Parti du peuple mauritanien. Peu de temps après le coup d’État qui renverse Ould Daddah, il s’exile en Arabie saoudite. Et prend progressivement une dimension internationale.
Aura internationale
Aujourd’hui, il est « un cheikh global », dixit Zekeria Ould Ahmed Salem, professeur de sciences politiques à l’université de Nouakchott, puisqu’on le consulte bien au-delà de son pays d’origine. Les Occidentaux ont sollicité son avis en matière de finance islamique, tandis que le très controversé prédicateur égyptien Youssef al-Qaradawi en faisait le numéro deux de la puissante Union internationale des savants musulmans, réputée proche des Frères, mais dont il claquera la porte en 2014.
Il est désormais accueilli avec beaucoup d’égards par les autorités mauritaniennes
Il est également respecté par les élites du Golfe, bien qu’il n’ait pas fait sien le credo wahhabite. Tout le monde préfère voir en lui un allié, jusqu’à ce jeune Mauritanien de gauche, du mouvement Kavana : « Il est trop timoré sur bien des questions, mais il m’arrive de le citer quand je suis face à une personne particulièrement conservatrice. »
Le sage a profité de sa nouvelle aura pour renouer avec son pays d’origine, où des membres de sa famille ont ouvert une fondation caritative à son nom. « Il est désormais accueilli avec beaucoup d’égards par les autorités mauritaniennes », observe un journaliste local. L’un de ses fils, Mohamed Abdallahi Ould Boye, a même été nommé ambassadeur à Riyad.
La condamnation à mort pour apostasie est théologiquement infondée
Il faut dire que les séminaires du cheikh contre la radicalisation sont particulièrement appréciés en haut lieu. En 2010, il a ainsi organisé une rencontre dans la ville turque de Mardin, là où, quelques siècles plus tôt, le alim Ibn Taymiyya, source très prisée des jihadistes, a délivré la fatwa dite de Mardin, qui légitime peu ou prou la condamnation à mort pour apostasie.
Ibn Bayyah déclare erronée l’interprétation de ce texte, invoqué plus d’une fois par Oussama Ben Laden et ses émules. « C’est pour ce genre de propos que les jihadistes ne l’aiment pas », nous explique Abou Hafs, ancien cheikh salafiste marocain passé par la prison. Qui ajoute, lui qui a également viré de bord : « Je suis très admiratif de son travail de promotion du dialogue. »
La « Déclaration de Marrakech », en faveur d’une meilleure protection des minorités religieuses en terre musulmane
C’est aussi parce qu’il ne se départit pas d’un certain conservatisme qu’Ibn Bayyah continue à avoir de l’impact. Trop libéral, il perdrait en crédibilité. En janvier 2016, ses efforts paient. Le Forum for Promoting Peace in Muslim Societies, qu’il préside, réunit au Maroc, avec le ministère des Affaires islamiques et le soutien de la représentation diplomatique américaine, des acteurs de la société civile et des religieux.
La rencontre se conclut par la publication de la « Déclaration de Marrakech », qui incite à une meilleure protection des minorités religieuses en terre musulmane. Le texte se veut le prolongement de la charte de Médine, adoptée à l’époque du prophète Mohammed et qui entérine la protection des minorités. Voilà de quoi agacer un peu plus les jihadistes.
Jules Crétois
Jeune Afrique