« …Les femmes sont d’une grande beauté. Elles comptent plus que les hommes. La condition de ce peuple est étonnante et ses mœurs sont bizarres. Quant aux hommes, ils ne sont nullement jaloux de (pour) leurs femmes… »nous dit Ibn Batouta relatant son voyage, au XIV° siècle, chez les Messoufites de Oualata.(cf. La traduction en français « Voyages d’Ibn Batouta, tome 3?La découverte, Paris 1997 ; et pour l’original arabe : “ Rihlett Ibn Batoutta” Dar El Koutoub El Ilmiya , Beyrouth, 1413 H et 1992.)Cinq siècles plus tard un autre observateur, le français René Caillé, notre Ould Keyje, est impressionné, lui aussi, par la Mauresque du Brakna : »…Ces mauresses conservent plus d’entreprise sur leurs maris que nos dames françaises… » (voyage à Tombouctou; Tome, I FM/la découverte, Paris 1979.)
b) ils ont dit, aujourd’hui, de la femme mauritanienne :
Mokhtar Ould Daddah en 1975 :« Les comportements discriminatoires dont sont victimes les femmes de notre pays, du fait d’une interprétation obsucurantiste de l’Islam orthodoxe sont condamnables…parce que contraires à l’Islam et donc aux orientations démocratiques de notre société. » ( Charte du Parti du Peuple Mauritanien adoptée par le IV congrès ordinaire en Août 1975.)
Maaouya Ould Taya, 11 ans plus tard :« …En particulier, la femme, par l’impact qu’elle a sur les enfants du fait de leur éducation dont elle est la première responsable, a le droit et le devoir de s’instruire et d’être la gardienne des valeurs fondamentales de la société…la femme mauritanienne…a droit à l’éducation, au travail et à la responsabilité. » (Maaouya Ould Taya, discours de Néma le 5 mars 1986.)
Je suis fort flatté, au nom de générations et de générations de mères, grandes-mères, arrières grandes-mères, etc. pour ces témoignages. Mais la femme maure, et la femme mauritanienne en général, mérite beaucoup plus qu’une reconnaissance de son indiscutable beauté, de sa légendaire force de caractère ou q’une condamnation des injustices commises à son endroit ou que la proclamation de ses droits inaliénables. La femme en ce pays, comme son partenaire masculin, et parfois plus et mieux que lui, a contribué, en de nombreux domaines, à préserver l’identité plurielle du pays, à éduquer des générations, à utiliser ses bras et son savoir- faire pour la production d’indispensables biens et services de grande qualité et utilité.
Mais avant d’examiner ces aspects spécifiques de la contribution de la femme mauritanienne, toutes ethnies et époques confondues, faisons meilleure connaissance avec :
- 1) les traditions culturelles sacrées ou profanes relatives à la femme ;
- 2) un bref rappel de l’histoire des femmes dans la vie publique ;
- 3) le rôle et la contribution de la femme dans cette vie publique;
- 4) les perspectives telles qu’elles m’apparaissent.
-I-
Contrairement à la pratique de la plus part des pays d’Islam et aux légendes répandues et exploitées par tous ceux que l’Islam dérange pour mille et une raisons, la femme n’est pas l’objet d’une oppression ou d’une discrimination par les deux sources fondamentales de la religion : le texte du Coran et la Sunna ( déclarations authentifiées et action du prophète).Le Coran, en particulier, et amplement, s’adresse en un même verset aux «musulmans et musulmanes », « croyants et croyantes », « faiseurs de bien et faiseuses de bien », « fornicateurs et fornicatrices » etc.
et les astreint aux mêmes devoirs et leur accorde les mêmes droits, mis à part l’Imamat de la prière ( et donc la direction temporelle liée à cette fonction), la fonction de Cadi et la part minorée de l’héritage. Encore que cette question de l’héritage qui a fait couler beaucoup d’encre doit être bien nuancée. Ainsi ceux qui attaquent la ‘discrimination des femmes par la Charia pour l’héritage’ oublient, pas toujours de bonne foi, que dans certains cas les tantes paternelles aident à conserver un héritage au complet à leurs nièces ; que la femme pour l’Islam, a la latitude de garder une séparation des biens et que, contrairement aux législations occidentales, il n’est pas permis de déshériter l’héritier, singulier ou pluriel. Rappelons aussi que si pour l’Islam le mâle « hérite du double de la part de la femelle » (règle non systématique mais il serait fastidieux et franchement rébarbatif de détailler cette savante question), il a l’obligation religieuse de subvenir aux besoins de sa parenté féminine ne disposant pas d’un « soutien adéquat.»
Je ferai deux simples citations du Livre Saint montrant l’importance de la femme auprès d’Allah : a) « …Dieu a entendu la voix de celle qui a plaidé chez toi contre son mari et a élevé des plaintes à Dieu… » ( Sourate LXVIII, la plaideuse) et b) « respectez les entrailles qui vous ont porté… » ( Sourate 1V les femmes.)
Pour un regard égalitaire du prophète (sur lui le salut) je me contenterai de citer cet aphorisme : « couvre la faiblesse de ton frère ou de ta sœur et Dieu pardonnera ton imperfection le jour du jugement. »
D’autre part dans notre Histoire mémorisée comme dans nos traditions, la femme est traitée avec les faveurs et les défaveurs de son groupe social. Mais toujours, comme dit l’adage maure qui doit avoir certainement son équivalent chez les trois autres communautés socio-culturelles : « la femme est la toge du gentilhomme et la chaussure du chien… » Et, pour simple mémoire, l’actualité ancienne ou plus récente a enregistré cinq pays islamiques qui ont eu à leur tête une présidente (Indonésie) ou une première ministre ( Bengladesh, Turquie, Pakistan et Sénégal.)
-II-
Dans nos sociétés traditionnelles le rôle de la femme, surtout des classes dirigeantes, guerriers et lettrés, était notable mais discret. Nous ne pourrons consigner à ce titre que la période qui précède immédiatement l’indépendance et le parcours de la femme et des organisations et groupements féminins depuis 1960.
L’émergence des femmes, à partir de 1946, dans la vie politique à l’occidentale a été marginale, sinon insignifiante, tout comme leurs partenaires masculins. C’est la création de partis politiques, puis l’instauration du suffrage universel, aux élections de 1951, que la passion engagée des femmes va être sollicitée par les deux partis rivaux de l’époque( Entente mauritanienne et Parti Progressiste mauritanien. Avec la Nahda, née en août 1958, les femmes, en pays arabophone notamment, constitueront ses éléments de chocs les plus décidés. L’indépendance engagera les femmes, à partir de 1962-1963 vers des organisations autonomes : l’Union Féminine de Mauritanie et sa rivale la Ligue Féminine de Mauritanie. Seule, la première, qui bénéficiait du soutien du Parti du Peuple Mauritanien, (PPM) qui venait de naître, et de son gouvernement a pu se maintenir.
Après le congrès extraordinaire du Parti du peuple mauritanien, à Kaédi en 1964, qui prépare l’institutionnalisation du PPM, et le IIe congrès ordinaire, à Aïoun el Atrouss en 1966, le mouvement féminin est dit « mouvement parallèle du parti .» Le parti, lui, est désormais décrété « Parti Unique de l’Etat » avec l’amendement, le 12 février 1965, de l’article 9 de la constitution de mai 1961. Au lendemain du III congrès du PPM, en janvier 1968, le mouvement parallèle devient le Mouvement National des Femmes avec un Conseil Supérieur de I5 membres (dont les secrétaires fédérales des femmes des 8 régions, d’alors, du pays) désignées par le Bureau Politique National du PPM et régi par un règlement spécial. Au congrès extraordinaire de juillet 1971, la présidente de ce Conseil Supérieur des Femmes devient membre de droit du Bureau Politique National, parti unique, avec rang de ministre.
Elle deviendra, en 1975 (année internationale de la femme de l’ONU) ministre de « la Protection de la Famille et des Affaires Sociales » en la personne de Madame Aïssata Mame Diack Kane. Le coup d’état militaire de juillet 1978 dissoudra le PPM et ses mouvements nationaux, en particulier le mouvement national des femmes. Il faudra attendre la mise en place des Structures d’Education de Masses ou SEM pour que la femme, à partir du début des années 80, revient sur la scène en militant au sein de ces structures gérées par la Permanence du Comité Militaire de Salut National (CMSN), organe suprême du pouvoir militaire d’exception. Le discours à Néma (dont un extrait est cité plus haut), le 5 mars 1986, du président du CMSN (l’actuel chef d’Etat) ramène la question de la femme et l’évocation de ses droits dans l’actualité.
En novembre 1986, à l’occasion des élections pluralistes municipales dans les 12 capitales régionales et à Nouakchott, les femmes réapparaissent comme élément incontournable de la scène politique, animant les campagnes électorales et faisant la différence dans les urnes. Cette tendance sera encore plus perceptible à l’occasion du déclenchement du processus démocratique et la légalisation du multipartisme en juillet 1991.Présentes dans les directions des partis, participantes actives dans les manifestations, alimentant avec verve le discours et les joutes oratoires etc. les femmes s’imposent comme acteur politique émergent, mais actif et conquérant.
Depuis lors le gouvernement compte régulièrement plusieurs femmes. Les deux chambres du parlement et les conseils municipaux englobent des femmes dont la compétence et le courage des prises de position ajoutent un plus à l’aura, communément admis, de nos femmes : leur inestimable apport, hier et depuis toujours, dans tous les domaines de la vie nationale et les perspectives escomptées d’une contribution importante, et surtout indispensable, à la Mauritanie d’aujourd’hui et à celle de demain.
-III-
Il est difficile, sans aucun doute, d’évaluer correctement cet apport de la femme mauritanienne, citadine, rurale ou nomade; arabe, poular, soninké ou wolof, à l’édification de notre pluriséculaire patrimoine national. Comme il est difficile de connaître sa contribution actuelle sur deux plans essentiels : le social et l’économique. De tous temps, elle a joué un rôle marquant dans de nombreux domaines de la vie communautaire de son groupement socio-culturel.
Les différences sont, somme toutes, objectivement significatives, entre les natures et les degrés d’implication des femmes, épousant les traditions particulières de leur ethnie, région, tribu ou clan, et la place dévolue à leur condition sociale. Elle embrasse, cette implication, l’ensemble des secteurs d’activité de la cité ou du clan. Quoi qu’il en soit, hier comme aujourd’hui et, nous l’espérons, demain, la femme, au sein de chaque composante de la société mauritanienne, est, était et restera, partie prenante incontournable en sa qualité de:
- Lien de renforcement du tissu social et élément essentiel de sa trame;
- Courroie de transmission, entre générations, des traditions culturelles orales;
- Ecole initiatique aux us et coutumes;
- Praticienne et transmetteur des sciences et techniques traditionnelles;
- Agent économique efficient.
* Lien de renforcement du tissu social et élément essentiel de sa trame:
En effet, la mauritanienne, par les mariages mixtes, a constitué, perdurant encore, le trait d’union réel qui a permis un malaxage fécond entre gens de différentes castes, tribus, régions et « races. » Cette femme, touts particularismes confondus, est, également, la gérante du mouvement de l’état civil de sa communauté, grande et petite, à l’occasion des mariages, des baptêmes, divorces et décès.
* Courroie de transmission des traditions, de génération à génération:
Les discussions entre hommes, en raison de la pudeur due aux différences d’âges et, pour les arabophones, des rapports gendres-beaux pères, sont réduites au strict minimum. Ces relations excluent souvent, entre majeurs, toute intimité, tout sentimentalisme, tout sujet explicitement relatif aux sexes et, même, des sujets familiaux anodins. Les filles, elles, cessent de s’asseoir avec les pères, oncles, cousins et frères plus âgées dès la fin de la première enfance. Ce cloisonnement accroît encore plus la responsabilité de la femme qui devient ainsi le maître d’œuvre de l’éducation dans son sens le plus large, et ce, en vertu de son « privilège d’intimité. »
Ainsi, c’est la femme qui transmet à ses filles, nièces et petites filles l’impressionnant répertoire du groupe en contes et légendes et en anthologies poétiques ou en gestes épiques. C’est, encore, elle qui imprime, souvent, chez l’enfant mâle, jusque l’adolescence et son entrée en l’univers des hommes, la même pluriséculaire mémoire.
*Ecole initiatique aux us et coutumes:
La femme arabe, poular, soninké ou wolof est la répétitrice qui permet aux filles et aux garçons du clan de connaître les exploits des ancêtres pour en être fiers, chérir leur souvenir et solliciter, pour eux, la bénédiction d’Allah. Cette saga, quelle que soit la modestie de l’origine familiale, est conservée pieusement, enrichie sans cesse d’histoires, vraies ou fausses, toujours valorisantes et resservies à la génération suivante.
La femme mauritanienne assume aussi l’initiation de la fille et son apprentissage pour son futur rôle d’épouse et de mère. Il lui est transmis, en particulier, la bonne conduite à tenir dans sa future famille, tout comme les subtils jeux de scène et de séduction devant maintenir un joug sur le conjoint. Le garçon ou l’adolescent est souvent l’objet de cours initiatiques par sa mère, sa tante, sa grande sœur ou sa cousine ou toute proche parente chargée de cette mission. Il apprend ainsi le code de la pudeur, celui de la politesse, de la conduite à tenir en présence d’aînés, même inconnus. Bref, comme soulignait une française familière de la Mauritanie d’hier, « …il apprenait à connaître (et tenir) sa place dans le Cosmos… » (Odette du Puigaudeau.)
*praticienne et transmetteur des sciences et techniques traditionnelles:
La femme mauritanienne, même dans les présents temps malgré l’extension de la couverture médicale moderne, continue d’être une praticienne experte à laquelle beaucoup ont recours pour la gynécologie, les accouchements et la pédiatrie. Elle en perpétue l’usage en transmettant ce savoir, et de préférence, à ses filles, nièces, petites filles et belles filles. D’autre part, il existe bien des héritiers de grandes familles spécialistes de pharmacopée mauritanienne et de médecine traditionnelle, mais les femmes, consommatrices de l’une et clientes de l’autre, ont une connaissance plus approfondie que les hommes de ces sciences héritées. Une autre science, celle de la cuisine, est, contrairement à d’autres sociétés, entièrement affaire de femmes.
Cet art culinaire mauritanien, fort rudimentaire, mis à part les recettes des quatre cités ‘patrimoine de l’Humanité’ (Chinguetti,Ouadane, Oualata et Ticitt) et les groupements Soninké, est pratiqué tant par les castes serviles, dont s’est la fonction, que beaucoup de femmes des classes dites dirigeantes, notamment dans les cités pré-coloniales.
Beaucoup de techniques sont, elles aussi, l’apanage des femmes par fonction (cordonnières, femmes de pêcheurs ou de chasseurs etc.) ou simplement par exigence de vie. Ces techniques sont parfois rurales: récolte et conservation des fruits (dattes principalement), des produits de cueillette (gomme arabique et pain de singe en particulier), des graines (blé,orge, maïs, mil, sorgho etc.) etc. Elles concernent, quelquefois, exploitation des produits de la pêche (Imraguen et Thiouballo en particulier) et professions similaires ou de la chasse (N’Madi et collectivités qui pratiquent la même activité.)
Parfois ces techniques sont la spécialité des femmes citadines, rurales et nomades indistinctement: tissage des tentes à poil et des tapis, confection de meubles, harnachements, outils, armes, poteries, objets tannés, vannerie, teinturerie, transformation des produits de l’élevage etc.
*Agent économique efficient:
Quoique bien prépondérant, le rôle économique joué dans la société traditionnelle par la femme a été le moins visible. Dans la société maure arabophone, traire les moutons et chèvres, transformer les produits laitiers; transformer les produits agricoles; vêtir les gens, les meubler, leur procurer les outres, les sacs de transport du nécessaire de l’homme et de la femme etc. était le produit du labeur féminin. La femme soninké avait une autre grande et difficile tâche: l’exploitation des champs depuis le semi jusqu’à la récolte. Elle s’occupait souvent, pour une autre catégorie sociale, du travail raffiné de la teinturerie etc.. La femme poular aidait à l’exécution de certaines tâches agricoles, et au traitement des produits de l’élevage, en plus de la vannerie etc. Je ne doute pas qu’un suivi statistique de notre économie traditionnelle, s’il existait antérieurement aux assauts des produits coloniaux, à l’exode rural et à l’étonnant rejet par la majorité des mauritaniens, aurait nettement indiqué que l’apport économique de la femme surclasse nettement celui de son partenaire masculin.
Aujourd’hui les femmes, regroupées en des associations comme l’UMAFEC et d’autres ou à titre individuel ou familial front preuve d’ingéniosité, de talent et de témérité dans le commerce et autres activités à but lucratif (artisanat, coopératives agricoles, tissage, couture etc.)
-IV-
Parler d’ »héritage » et de « patrimoine », c’est adresser un capital partagé du passé qui se conserve, plus ou moins, dans le présent et qui pourra, et devra en tout cas, pour ses aspects positifs et utiles, être réutilisés dans le futur. Ces préoccupations peuvent avoir une raison économique objective. Elles peuvent être suscitées par un impératif social. Elles peuvent jaillir d’une motivation identitaire. Le cas particulier de la femme mauritanienne par rapport à ce patrimoine dépend, en vérité, de plusieurs facteurs. D’abord la raison comptable, qui suppose la réhabilitation de la partie économique de ce patrimoine encore récupérable pour le temps présent (artisanat utilitaire, teinturerie, poterie, certaines productions de l’élevage et de l ‘agriculture etc.)
Ensuite, l’impératif social de la lutte contre la pauvreté, concerne l’opportunité offerte à une frange importante de notre population féminine de se libérer de la dépendance politique et matérielle, par son association à une création bénéfique, sans intermédiaire, de la richesse. Enfin, nous avons besoin de conserver et valoriser toute la partie de notre patrimoine liée à notre identité. Dans un monde, de plus en plus, manquant de repères, il faut donner aux générations montantes une raison d’assumer leur héritage national avec fierté et contribuer, par la même occasion, à la mobilisation de toutes les énergies au progrès économique et social de la Mauritanie. L’apport et le dynamisme de la femme mauritanienne instruite, respectée et responsabilisée peut et doit, amplement, y contribuer. Quelle chance! Quelle fierté! Quel bonheur !
Le 7 mars 2005.
Mohamed-Saïd Ould Hamody
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