Les Sénateurs font l’Histoire !

mer, 03/22/2017 - 00:43

Il faut toujours se méfier du pouvoir de nuisance des Sénateurs. On les croit faibles et soumis et voilà qu’un jour ils font l’Histoire.

Le 15 mars 44 avant Jésus Christ, les Sénateurs romains assassinèrent Jules César qu’ils venaient de nommer dictateur à vie. « Tu quoque, mi fili (Toi aussi mon fils)» fut sa célèbre réaction quand il découvrit celui-ci parmi les conspirateurs. Le 27 avril 1969, le général De Gaulle quitta le pouvoir après le résultat négatif du référendum qu’il organisa pour réformer, entre autres, le Sénat français.  L’intérim du grand Charles sera assuré, ironie du sort, par le président du Sénat Alain Poher. Il y a quelques jours, les Lords britanniques, qui ne sont pourtant pas élus mais désignés, infligèrent un revers au gouvernement de sa Majesté en réclamant que le parlement puisse avoir le dernier mot sur le futur accord final avec l’UE dans ce qui est appelé communément le Brexit.

Dans notre pays, en 2007, l’Inspecteur  Général de l’Etat Horma Ould Abdi failli être emporté par le courroux des Sénateurs et ne dût son salut qu’après avoir présenté des excuses officielles. La semaine passée, les Sénateurs ont aussi frappé en rejetant les amendements constitutionnels voulus par le gouvernement. Cette fois ils ont bien caché leur jeu en acceptant, à une exception près, tous les présents donnés par le pouvoir et en laissant ce dernier dans l’ignorance de leurs intentions.  

 Dans cette histoire de réforme de la Constitution, le pouvoir n’a perdu, certes, qu’une bataille. Mais une bataille qui laissera des traces sur la suite des plans envisagés pour la sortie en 2019. En voulant faire des économies, le gouvernement a choisit la mauvaise procédure de révision et s’est donc tiré par la suite une balle dans le pied. Ses stratèges auraient dû savoir qu’une institution qui concoure à l’édiction des lois d’un Etat, qui lui donne sa deuxième personnalité (article 40 sur l’intérim du Président) et dont les membres bénéficient d’avantages substantiels, ne se saborde pas du jour au lendemain.

Pourtant il aurait été plus simple de passer par le référendum directement. Il suffisait - et il suffit toujours ! – de lire la Constitution. L’article 2 stipule que «  le peuple est la source de tout pouvoir ». L’alinéa 2 du même article donne au peuple le pouvoir d’exercer sa souveraineté nationale par voie de référendum (en plus de ses élus). L’article 38 donne au Président le pouvoir, « … sur toute question d’importance nationale» de « saisir le peuple par voie de référendum ». Et la boucle est boulée. Une révision de la Constitution n’est-elle pas « une question d’importance nationale » ? A mon avis, assurément ! C’est aussi l’avis du juriste  Vadily Ould Raïss, exprimé avec compétence et rigueur sur Sahel TV. Que serait d’ailleurs cette « question d’importance nationale » si toutes les dispositions de notre Constitution en sont exclues ?

L’incompétence du gouvernement et de ses juristes est ici manifeste. Ils ont pourtant à leur disposition les éléments de plusieurs cas similaires dont celui que j’ai noté plus haut : la réforme du Sénat français. Le référendum prévu à l’article 11 de la Constitution française a été utilisé pour modifier celle-ci alors que d’autres disposions passant par le parlement existent. La situation actuelle est d’un ridicule ! Le Président de la République et l’Assemblée nationale élus tous les deux au suffrage universel, le Gouvernement, qui plus est soutenus par une flopée de partis politiques, sont bloqués dans leur initiative par une assemblée, le Sénat, « à laquelle la  Constitution n’a pas voulu permettre qu’elle pût s’opposer à l’aboutissement d’une loi même ordinaire » (formule de George Pompidou, Extrait du débat de l’Assemblée Nationale du 4 octobre 1962). En effet, l’article 66 de notre Constitution, alinéa 4, donne pouvoir au Gouvernement, s’il n’y a pas eu de vote sur un texte identique, et après déclaration de l’urgence,  de « demander à l’Assemblée Nationale de statuer définitivement ». Cette humiliation restera au travers de la gorge du pouvoir actuelle pour toujours et quelque soit l’épilogue de la crise actuelle.

Que reste-il au Président pour contourner ce blocage ? Comme je l’ai mentionné plus haut, il peut toujours mettre en œuvre l’article 38. L’inconvénient à déclencher cette procédure après le vote négatif du Sénat est double : le oui n’est plus assuré de gagner et le scrutin apparaitra comme un bras de fer entre le pouvoir exécutif et un  pouvoir législatif  qui n’a fait qu’exercer ses prérogatives constitutionnelles. Le Président peut aussi dissoudre les mairies. Dans ce cas aussi de figure, il n’est pas certain d’obtenir une majorité aux élections sénatoriales qui suivront.

Alors que Faire ? La seule solution, celle qui fera entrer définitivement le Président Mohamed Ould Abdel Aziz dans l’Histoire du pays par la grande porte, est d’organiser un dialogue politique entre tous les partis reconnus (les partis non reconnus par le ministère de l’Intérieur sont, au regard de la loi, légaux puisque le régime auquel sont soumis les partis en Mauritanie est déclaratif).

Ce dialogue devra déboucher sur l’avènement d’une 3ème République dont la Constitution devra :

  1. mieux organiser les pouvoirs dans un sens plus juste et plus équilibré entre un parlement aujourd’hui atone et un Président OMNISCIENT;
  2. permettre l’alternance ;
  3. prévoir une décentralisation qui donnera aux collectivités plus d’autonomie et  de moyens pour pouvoir prendre en charge leur développement ;
  4.  inscrire notre identité plurielle dans le marbre de la Constitution en donnant plus de moyens aux structures chargées de mettre en valeur cette richesse et en rendre visible sa diversité ;
  5. Constitutionnaliser la Commission Electorale Nationale Indépendante ;
  6. Retenir toutes les avancées obtenues au cours des différents dialogues précédents.

 

La présente liste n’est pas exhaustive et n’est là qu’à titre d’exemple de proposition. Je sais qu’il existe une appréhension et même une peur chez certains de voir le Président profiter de cette refonte des institutions pour vouloir se maintenir au pouvoir. Dans ce cas il faut modifier seulement mais en profondeur cette constitution de 1991 afin de répondre aux obligations démocratiques du pays. Nous avons là une occasion de faire avancer les choses dans l’intérêt de notre chère patrie. Alors il ne faut pas perdre cette occasion comme on a perdu celles de 2005, 2009, 2011 et 2016.

Ahmed Jiddou ALY    

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