Témoignage : de la torture

ven, 10/21/2016 - 13:18

J’ai lu hier une information qui parle d’une mission d’experts de l’ONU en Mauritanie, pour enquêter sur la pratique de la torture dans notre pays. J’ai aussi vu et revu quelques photos, où des jeunes « exhibent » des traces de tortures sur leurs corps, fragiles et innocents. J’ai même vu des traces ouvertes de tortures sur le dos d’un célèbre et paisible Avocat (Maître Lematt), l’actuel SG du RFD. Toutes ces « lectures » m’ont rappelé mon expérience personnelle de la torture, que j’avais couché sur un papier et que je livre, aujourd’hui, à l’occasion, pour « servir et valoir ce que de droit » :

La torture, l’une des formes les plus abjectes et les plus barbares qu’utilisent, les dictateurs et les fascistes, de tous les temps, pour faire plier leurs ennemis politiques.

Qu’elle soit physique ou morale, la torture est toujours quelque chose de terrible et de difficilement pardonnable, parce qu’elle est inoubliable. Je l’ai subie. Je ne l’ai pas oubliée. Je ne l’ai pas pardonnée.

Je poursuis toujours mes tortionnaires, à ma manière,  et espère toujours arriver à leur faire payer « ma » torture et celles de mes camarades de l’époque. A tel point que je me sens, directement et instinctivement, lié et solidaire avec  tous les torturés de la terre. Ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Pourtant s’il y a un « ennemi » contre lequel, on peut difficilement réagir et obtenir gain de cause, c’est bien le tortionnaire. Les tortionnaires sont souvent anonymes, masqués et commis. Quand à leurs mandants, au moment où ils commettent leurs forfaits, ils sont forts, légitimes, intouchables et craints.

Et quand ils quittent le pouvoir, l’hypocrisie humaine, la pression sociale et parfois le besoin de survivre, s’ajoutent au fait que la relève présente souvent des similitudes avec les méthodes du passé, au nom de « la  nécessaire continuité de l’Etat ». Seules les souffrances du torturé et les terribles souvenirs  qui meublent, à jamais, sa mémoire, continuent à revendiquer justice.

Mon expérience de la torture remonte au milieu des années 70 du siècle dernier. J’étais jeune, fort, physiquement et moralement,  très ambitieux pour mon pays. Je militais dans un mouvement qui avait pour objectifs de bâtir en  Mauritanie un Etat de justice d’égalité, où tous les Mauritaniens se sentiraient libres et fiers d’en être citoyens. J’ai été arrêté par la Police de Nouakchott, à la suite d’une manifestation non autorisée, un jour de Janvier 1973.Traîné au commissariat de la capitale où j’ai retrouvé d’autres camarades (hommes et femmes) arrêtés pour les mêmes raisons. Je fus vite indexé comme meneur et bénéficiais  d’un traitement spécial.  Durant les 9 mois qui ont suivi et que j’ai passés, après un séjour dans les différents commissariats, à la tristement célèbre prison de Bayla, j’ai été témoin et victimes de bien des formes de tortures. Je n’en cite, ici, que les plus abominables. Nous étions une soixantaine dont deux femmes (Marie Traoré et Salka Mint Sneyd), une fillette « Khdeyja«, (la fille de Salka et d’Ahmadou Ould Abdel Kader) qui avait moins de deux ans. Les pleurs de Khdeyja, réclamant son biberon, l’obligation faite à Marie et à Salka de partager, non seulement une cellule avec tous ces hommes, mais aussi le semblant de toilettes, au coin  de cette même cellule, avec un portillon qui ne se ferme pas (pour éviter qu’un prisonnier ne s’y suicide).

Durant la phase d’interrogatoires, j’ai été confronté avec deux de mes compagnons qui avouèrent avoir été « embrigadés dans le mouvement » par un autre camarade et moi-même à Boutilimit. L’état physique dans lequel ils se trouvaient et les traces toutes fraiches de tortures récentes, ajoutées à la gêne qu’ils éprouvaient  à me dénoncer directement, en ma présence, devant les flics, ont été pour moi un terrible moment, où se mélangeaient  la honte et le dégoût.

Pourtant je n’en ai jamais voulu aux deux camarades en question, à la place desquels, je ne sais pas comment je me serais comporté.

Puisse ce témoignage contribuer à réduire l’isolement psychologique, un des objectifs principaux de la torture, que subissent les détenus et prisonniers politiques en les rassurant, où qu’ils se trouvent, que ceux qui luttent pour des causes justes, ne sont jamais seuls

 

Ahmed Yedali

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