Démission de James Mattis: les généraux lâchent Trump

mar, 12/25/2018 - 10:28

La démission, annoncée jeudi 20 décembre, du secrétaire à la Défense James (ou Jim) Mattis, marque la fin d'une époque: celle des militaires au sommet du pouvoir sous la présidence Trump, où ministres et conseillers sont soumis à une valse inédite.

 

Voilà deux ans, le président américain s'était entouré de plusieurs généraux, nommés à des postes clefs de l'appareil d'État: H.R. McMaster, promu conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche (en remplacement de l'éphémère et controversé général Michael Flynn); John Kelly, bombardé chef de cabinet de la Maison Blanche après avoir été pendant quelques mois Secretary of Homeland Security (ministre de l'Intérieur); James Mattis nommé secrétaire de la Défense, considéré comme le principal pôle de stabilité au coeur d'une administration chaotique.

 

Unanimement respectés aux États-Unis pour leurs qualités intellectuelles et leur expérience au combat, ces trois-là étaient souvent comparés à des "adultes dans la pièce" (adults in the room) à côté de l'impulsif président Trump dont le savoir-faire en matière internationale était proche de zéro.

 

Le secrétaire à la Défense américain Jim Mattis (deuxième à partir de la gauche) arrive à la mission de l'Otan Resolute Support à Kaboul le vendredi 7 septembre 2018

 

afp.com/Thomas WATKINS

 

"Si Washington parvient à trouver le sommeil, c'est en grande partie grâce à ces généraux expérimentés", estimait alors le directeur de la rédaction de la revue The Atlantic Jeffrey Goldberg.

 

Auteur d'un ouvrage théorique de référence sur l'échec américain au Vietnam et vétéran des campagnes d'Irak, H.R. McMastera quitté la Maison Blanche en avril dernier. Le président lui reprochait, semble-t-il, son ton professoral et le manque de déférence qu'il estime être en droit d'attendre.

 

Egalement vétéran des guerres d'Irak et père d'un fils tué par une mine en Afghanistan, John Kelly, sur lequel des rumeurs de départ bruissent depuis un an, quittera, lui, ses fonctions de chef de cabinet en janvier prochain.

 

"Trump est ingérable et, de plus, il se lasse des gens"

 

"Non seulement Trump est ingérable mais, de plus, il se lasse vite des gens", pronostiquait déjà, voilà près d'un an, le journaliste Chris Whipple, auteur de The Gatekeepers[un ouvrage consacré à l'histoire des chefs de cabinet à la Maison Blanche] lorsqu'on lui demandait si Kelly était assis sur un siège éjectable.

 

Et voici que James Mattis, ancien de l'Irak, moine soldat, admirateur de Marc Aurèle (121-180) et collectionneur de livres (sa bibliothèque compte 6000 ouvrages), vient lui aussi de donner sa démission. Un coup de tonnerre à Washington et chez les alliés des États-Unis, qui sont sous le choc.

 

Dans sa lettre de démission, en forme de réquisitoire à peine voilé contre les options géostratégiques de Trump, Mattis explique au président que leurs visions du monde ne sont plus compatibles: "Vous méritez un secrétaire à la Défense dont les vues sont mieux alignées sur les vôtres", écrit-il.

 

Le timing de la démission de Mattis en dit long sur ses divergences avec le locataire de la Maison Blanche. Celle-ci intervient en effet au lendemain de l'annonce par Donald Trump du retrait américain de Syrie et au moment où la Maison Blanche envisage de réduire la voilure en Afghanistan (7000 soldats sur les 14 000 qui y sont stationnés). Ces deux choix sont très critiqués par des officiels du Pentagone et par les spécialistes de politique étrangère à Washington.

 

Dans son courrier, James Mattis, dont le prestige est immense, signale clairement son inquiétude vis-à-vis de la façon dont Trump traite ses alliés de l'Otan. Il marque également son désaccord sans ambiguïté à l'égard de la manière dont le président traite la Russie et la Chine.

 

"Ma vision des choses consistant à traiter nos alliés avec respect et, aussi, à être lucide vis-à-vis de ceux qui sont à la fois des acteurs pernicieux et des rivaux stratégiques, repose sur des fortes convictions forgées aux cours de quatre décennies pendant lesquelles j'ai été plongé dans le vif du sujet", écrit le très expérimenté Mattis qui commanda par exemple l'invasion d'Irak en 2003. 

 

James Mattis est l'auteur de la doctrine militaire américaine

 

"Les 29 démocraties de l'Otan ont démontré leur engagement dans le combat à nos côtés après les attaques du 11-Septembre, ajoute-t-il dans un plaidoyer vibrant pour la défense des alliances militaires internationales en contradiction avec le discours trumpien. La coalition de 74 pays ayant permis la victoire contre l'EI (l'organisation Etat islamique) est une autre preuve de la nécessité de respecter et de s'appuyer sur nos alliances."

 

Sur la Russie et la Chine, le démissionnaire, qui est l'auteur de la doctrine militaire américaine publiée début 2018 sous le titre National Defense Strategy, écrit: "Il est clair que ces deux pays veulent façonner le monde selon leur modèle autoritaire afin de promouvoir leurs intérêts aux dépens de leurs voisins, les États-Unis et leurs alliés." 

 

Dépourvue de la traditionnelle formule de remerciement évoquant habituellement "l'honneur d'avoir servi le président", la missive de l'ex-général adulé par les militaires américains se conclut sèchement par ces mots: "J'apprécie de servir la nation ainsi que nos hommes et nos femmes sous l'uniforme." Sans aucune allusion à Donald Trump.

 

Afin d'assurer une transition en douceur, Mattis ne quittera ses fonctions qu'à la fin du mois de février 2019. Comme lui, son successeur exercera son autorité sur 2,15 millions de militaires et sur les 730 000 fonctionnaires civils du Département de la Défense. Le départ de Mattis et de son collègue et ami John Kelly suscite déjà des inquiétudes considérables.

 

Au cours des deux premières années de sa présidence, Donald Trump a, sans crier gare, annulé les traditionnels exercices militaires conjoints avec la Corée du Sud, s'est retiré de l'accord international sur le nucléaire iranien, a multiplié les critiques contre l'Otan et déployé des troupes le long de la frontière avec la Mexique. Le tout, sans tenir compte de l'avis éclairé de James Mattis.

 

Avant-hier, 19 décembre, Donald Trump a versé la goutte d'eau de trop en annonçant, contre l'avis quasi unanime de son entourage, le retrait des 2000 soldats américains déployés en Syrie. Ainsi, il a pris par surprise ses alliés de la coalition "anti-Daech".

 

Cette décision, largement critiquée, revient à abandonner sur le terrain les forces alliées kurdes, sous la menace d'une offensive par la Turquie. Et à laisser le champ libre au rival russe et à l'ennemi iranien.

 

C'est peu dire que la démission du Secrétaire de la Défense ouvre une ère d'incertitude. "Je suis ébranlé par la décision du général Mattis et je prie pour notre pays", déclare l'opposante démocrate Nancy Pelosi. "C'est un jour triste pour l'Amérique car James Mattis donnait au président des conseils que celui-ci a besoin d'entendre", ajoute le sénateur républicain Ben Sasse.

 

Selon les dires de Lindsay Graham, un autre sénateur républicain, "Mattis estime que le moment pour se retirer de Syrie est mal choisi et il est très inquiet pour les Kurdes." Il n'est pas le seul : l'inquiétude gagne tous les experts un tant soit peu au fait des enjeux géostratégiques, qui se préparent des nuits d'insomnies;

 

 

 

A Moscou, Pékin, Istanbul, Damas, et Téhéran, en revanche, on se frotte déjà les mains à l'annonce du départ de James Mattis et de la fin de l'ère des généraux, perçu comme un affaiblissement des Etats-Unis et de leurs alliés.

 

.lexpress.fr

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